mardi 21 décembre 2021

Arts internes

 

Arts internes.


Dans les arts martiaux chinois, les «formes internes» s’opposent à celles que l’on appellent les «formes externes» ou «dures». L’accent est mis sur un travail «interne» appelé neigong, développé grâce à des exercices de qi gong, plutôt qu’un renforcement «externe» de type musculaire. Cependant, aucun art martial ne peut se contenter du seul travail interne et très rares sont les arts martiaux chinois dans lesquels la notion de qi n’entre pas en compte.
On considère généralement que les styles internes sont les styles hérités des monts de Wudang, c’est-à-dire des styles de parenté taoïste, par opposition aux styles dits externes, hérités de shaolin, c’est-à-dire de parenté bouddhiste.
Les pratiques internes utilisent une méthode «active» c’est-à-dire dynamique, en mouvement, contrairement à la méthode «passive» que l’on retrouve dans certains procédés de yoga, où le même résultat est recherché à travers la méditation ou une posture fixe.
A l’origine, il s’agit de techniques martiales applicables en combat, comprenant différentes séquences gestuelles. Les divers enchaînements actuellement pratiqués sont répertoriés par séries de mouvements de combat. Il existe trois formes principales de pratiques. La première concerne des séquences gestuelles axées sur le travail respiratoire. La deuxième met en accord le travail respiratoire avec celui de certaines formes animales. La troisième concerne un travail de renforcement musculaire accompagné de techniques respiratoires énergétiques. 
L’aspect le plus courant consiste à réaliser des séquences techniques prédéterminées à base de mouvements lents.

Maîtrise de l’énergie
Ces techniques «internes» sont pratiquées dans le but de développer la conscience [shen] via la maîtrise de l’énergie, à travers des procédés dynamiques, respiratoires et de visualisation. Elles désignent plus précisément un ensemble de méthodes destinées à contrôler, diriger, développer et régulariser le flux d’énergie en réserve dans le corps. Cette maîtrise permet de libérer les aspects thérapeutiques du mouvement et de la respiration. Elle peut se concrétiser, par exemple dans le taiji quan, avec des exercices lents pratiqués en solitaire, au contrôle respiratoire et à la concentration mentale. 
La pratique du qi gong, indispensable à tout travail interne, est comme une «gymnastique martiale» ou une «méditation en mouvement» permettant le développement et la gestion de l’énergie interne avec effets directs sur la santé. Le qi gong [ou encore chi gong ou chi kung], signifie littéralement «exercice [gong] relatif au qi», ou «maîtrise de l’énergie vitale». C’est une synthèse de mouvements de santé, d’hygiène corporelle et surtout de développement physique et mental. Il peut être pratiqué en tant que discipline principale et est un excellent outil d’introduction de séance [échauffement] et également de fin de séance. Dans cette pratique, on retrouve aussi des éléments techniques des arts martiaux et donc certaines formes animales. La plupart des styles ont un qi gong qui leur est propre.

Le qì 
Le qì [ki en japonais], ou «souffle / énergie », est une notion essentielle de la culture sino-japonaise. Il désigne un principe fondamental formant et animant l’Univers et la Vie.
Dans un organisme vivant, il circule à l’intérieur du corps par des méridiens qui convergent tous dans le «centre des énergies», appelé «champ du cinabre », seika tanden au Japon et dan tián en Chine. Il est présent dans toutes les manifestations de la nature.
La notion de qì n’a aucun équivalent précis en Occident. On peut toutefois noter de nombreux liens de convergence avec la notion grecque de pneuma [traduite par «souffle»] et, dans la même optique, avec la notion d’esprit, en latin «spiritus» [dérivé de spirare] qui signifie souffle, vent. Plusieurs éléments de la philosophie indienne s’en rapprochent, tels que le prãna, le soma ou l’ojas.

«…et tu resteras alerte…»
L’objectif du travail dit «interne» est la recherche de l’équilibre et du calme intérieur à partir d’exercices de méditation et d’exercices de développement de l’énergie vitale. Ces exercices vont permettre de vivre longtemps en bonne santé. Comme pour les arts martiaux de configuration «dure», la pratique des formes internes a pour but de protéger mais, avant tout, de préserver la santé. Les formes internes ne sont pas focalisées sur la performance sportive, bien au contraire. Elles mettent l’accent sur le développement personnel, le bien-être et la santé. Elles peuvent être utilisées à des fins thérapeutiques et elles sont les outils par excellence permettant de répondre aux trois objectifs majeurs des arts martiaux :accomplissement personnel, recherche de paix intérieure et réalisation  de l’harmonie.
Les anciens disent : «pratique les formes internes et tu resteras alerte, bien portant tu jouiras de la vie jusqu’à son terme». Concrètement, la pratique des formes internes a pour objectif premier le contrôle et le développement corporel et mental, par le biais d’exercices physiques et respiratoires. Plus précisément, il s’agit de maîtriser l’énergie dite «interne», grâce à des mouvements en douceur et à une respiration détendue et pleine. Les pratiquants cultivent un état d’esprit alerte et présent aux sensations, en se concentrant sur leur énergie vitale, ce qui consiste à développer le ressenti et la maîtrise du flux d’«énergie interne». Cette énergie «projetée à l’extérieur» peut transformer et rendre efficace les actions du corps. Elle permet de soulager de nombreuses douleurs corporelles et d’obtenir un bien-être général. Le but recherché est le contrôle corporel par le biais d’exercices souples, de mouvements arrondis et d’attitudes naturelles.
Les exercices sont axés sur la respiration calme, naturelle, équilibrée qui amène le repos de l’esprit, le contrôle de l’énergie interne et du «souffle vital». Côté bienfaits, la respiration consciente repose le système nerveux, prévient les maladies du système digestif, fortifie le système cardio-respiratoire, évite le développement de maladies du système vasculaire [athérosclérose], etc... 

La pratique des formes internes a également une fonction martiale. C’est une attitude, à la fois physique et mentale, qui permet de se rassurer sur ses capacités à combattre, certains diront même de «gagner sans avoir à combattre », tant la conscience déployée ne prête pas flanc à l’agressivité...


Philosophie & exercices
Ces processus spécifiques de travail sur l’énergie prennent naissance dans les pratiques ancestrales des moines, dont certaines remontent à plusieurs siècles. Au-delà des bienfaits de ces procédés sur la santé, ceux-ci véhiculent également des conceptions philosophiques et spirituelles, notamment au sujet de la place de l’Homme dans l’Univers… Ces vertus physiques et spirituelles confèrent au pratiquant l’unité du corps, du coeur et de l’esprit. On trouve différentes formes de pratique : exercices debout, assis ou couché, exercices statiques et dynamiques, méthodes «internes» des arts martiaux, notamment sur les formes animales ou séquences de mouvements de combat ; des façons de se mouvoir pour stimuler des parties corporelles et certaines zones vitales ; des exercices de détente musculaire, des exercices statiques et dynamiques portant sur les différentes manières de respirer, des procédures pour concentrer l’énergie et la diriger. Les exercices se distribuent en séquences plus ou moins longues, généralement de 3 à 30 mouvements. Par exemple, dans un objectif thérapeutique, les groupes d’exercices sont en rapport avec le problème physique ou émotionnel à traiter. Les exercices se focalisent essentiellement sur 3 domaines d’action :
1- le contrôle physique [sur les 3 niveaux de la colonne vertébrale et le mouvement des mains] ; 
2- le contrôle mental [concentration, visualisation et méditation] ;
3- le contrôle respiratoire [exercices d’inspiration, d’expiration et parfois d’apnée]. 


Contrôle respiratoire 
Le travail respiratoire lié aux arts internes consiste généralement à effectuer, mains ouvertes, des enchaînements traditionnels d’exercices corporels avec des actions de contrôle musculaires en relation avec des actions de concentration sur l’acte respiratoire. Les exercices reposent sur la coordination de mouvements en relation avec un travail respiratoire et de concentration mentale. Ces principes respiratoires se retrouvent dans de nombreuses disciplines psycho-corporelles et dans le travail de certaines formes martiales [formes animales par exemple]. Trois modes respiratoires coexistent :
1- Utilisation de la respiration : travail sur la «respiration douce» qui consiste en une action de concentration sur l’acte respiratoire pendant les exercices et les postures. Le but recherché est une respiration calme, naturelle et équilibrée, qui amène le repos de l’esprit. Ce mode respiratoire peut agir comme une thérapie en cas de maladie.
2- Contrôle et utilisation du souffle : travail sur la «respiration forcée» [colonne d’air], dont le but est de canaliser l’air dans un travail gestuel où mouvements, respiration et déploiement d’énergie ne font qu’un. Ce second mode a l’avantage de travailler intensément sur le contrôle musculaire et la respiration dite abdominale.
3- Rétention, concentration et direction du souffle [la durée de la rétention du souffle avant l’expiration est souvent proportionnelle au degré de maîtrise du pratiquant]. 

Principaux arts martiaux internes
Parmi les principaux arts martiaux internes chinois, citons :
- le Bagua Zhang ou littéralement «paume des huit trigrammes», originaire du nord de la Chine. Les bases du Bagua s’illustrent par l’observation des phénomènes astronomiques de révolution, de rotation et de pivot. Dans les mouvements de base du Bagua, on marche en tournant autour d’un point, comme la Terre tourne autour du Soleil. La Terre effectue simultanément une révolution autour du Soleil et une rotation sur elle-même. Pour conserver cette image, le changement de la paume en Bagua Zhang établit le même rapport qu’entre la Terre et le Soleil.

- le Taiji Quan, ou tai-chi-chuan, qui se traduit littéralement par «boxe du faîte suprême» ou «boxe de l’éternelle jeunesse », a pris des formes variées et se pratique le plus souvent sous les styles Wudang, Yang, Chen, Sun et Li. Il insiste sur le développement d’une force souple et dynamique appelée jing, par opposition à la force physique pure li. 
Les premiers philosophes taoïstes comme Lao Zi [vers 500 av. J-C.] pratiquaient une série d’activités physiques très proches du taiji quan, sous la dénomination wu-wei-wu, «agir-sans-agir». Certaines légendes attribuent l’invention du taiji quan au taoïste semi-légendaire Zhang Sanfeng, vers le début de la dynastie Ming [XIIIème-XIVème siècle].

- le Xing Yi Quan, souvent traduit par «poing de la forme et de l’intention», se caractérise par des mouvements explosifs percutants liés à des déplacements linéaires ou en zigzag [esquives]. 

- le Baji Quan, littéralement «boxe des huit extrémités», se base entre autres, sur le travail immobile de la position dite des «deux principes» [Yin et Yang] qui permet un équilibre parfait du corps, une harmonie entre le Ciel [Yang] et la Terre [Yin] et une accumulation de l’énergie interne au niveau du dan tián. D’origine taoïste, il s’est propagé notamment au sein de la communauté musulmane des Hui.


Un art de vivre 
Parmi les adeptes taoïstes, on trouvait et trouve encore de nombreux médecins, philosophes et autres chercheurs multidisciplinaires. Dès lors, il n’est pas étonnant qu’au fil des siècles, les arts martiaux internes aient été incorporés à la médecine traditionnelle chinoise et soient devenus un véritable art de vivre.

Pour un pratiquant d’arts martiaux internes, que l’adversaire soit extérieur ou intérieur importe finalement peu, car sujet et objet sont «Un». L’autre, en soi ou à l’extérieur, devient un partenaire- miroir-de-soi qui permet au pratiquant taoïste d’accroître sa propre énergie et d’avancer toujours plus vers l’harmonie et l’unité.

Auteur : Olivier Desurmont

vendredi 26 novembre 2021

Hara

 Kokodo-budo-Libramont


Hara

Centre vital de l’homme

Karlfried Graf DÜRCKHEIM

1967

trad. Claude Vic

éd° Le Courrier du Livre (1974)


I – Le Hara dans la vie du japonais

29 Ki et Hara le Hara recèle une forcé quasi surnaturelle qui permet à l’homme de réaliser des exploits en ce monde. Le Japonais nomme cette force Ki, c’est-à-dire force universelle. L’Homme participe de cette force, mais doit apprendre à l’admettre, ce qui ne lui sera possible que par l’intermédiaire du Hara. Il s’agit donc d’une force toute différente de celle qui est mue par la volonté du moi.

33 les actions les plus banales sont source de maîtrise C’est une des erreurs de l’esprit humain que de croire que, pour faire quelque chose « de main de maître », il faut être spécialement doué et d’entraîner toujours à une seule et même chose. En réalité, toute action sans cesse répétée contient en elle-même la possibilité d’un accomplissement parfait. C’est pourquoi on peut faire preuve de « maîtrise » en marchant, en courant, tout comme en parlant et en écrivant. […] Ainsi arrive-t-on à réaliser avec maîtrise les tâches les plus diverses, voire les plus insignifiantes : le travail quotidien mille fois répété, aussi bien à la maison, au bureau que dans la vie sociale.

34 tous les arts sont un tout art peut constituer un moyen de progresser sur la « voie intérieure ». Aussi comprendra-t-on que, pour le Japonais, « le tir à l’arc et la danse, l’art floral et le chant, la cérémonie du thé et la lutte ne fassent qu’une seule et même chose ».Si l’on se place du point de vue du travail effectué, du rendement, cette citation n’a aucun sens. Mais si on la conçoit comme il convient, du point de vue de la recherche du vrai Soi, elle devient tout à fait évidente.

37-38 l’homme ne doit jamais s’arrêter Mais retenez bien ceci : lorsque l’homme a atteint dans sa manière d’être, dans sa vie ou dans son travail, une étape qui lui a coûté beaucoup d’effort, il ne peut rien lui arriver de pire que de voir le destin lui permettre de marquer le pas, de se figer dans l’état dans lequel il est parvenu. Si le destin lui est favorable, il lui enlève le résultat obtenu avant qu’il ne se raidisse, ne se sclérose. Voilà ce qu’un bon maître doit faire. Car, au fond, il ne s’agit pas d’envoyer la flèche droit au but ; ici, comme dans tous les autres arts, l’objectif essentiel n’est pas le résultat extérieur mais bien le résultat intérieur, autrement dit la transformation intérieure de l’homme. L’exercice d’une technique aboutissant à une performance sert également cette transformation. Mais quel est le plus grand danger qui puisse menacer cette dernière, sinon de s’arrêter au résultat acquis ? L’homme doit progresser, progresser sans cesse.

39 le sens de l’exercice est la transformation de l’homme Il est évident qu’un homme qui, pendant des années, souvent même des dizaines d’années, s’est efforcé d’acquérir une formation dans une discipline donnée peut parvenir à des résultats qui paraissent miraculeux au profane. Mais il faut se demander quelle est la valeur de ces exploits. S’ils sont le fruit d’une ambition tenace qui a su utiliser un certain savoir faire, ils n’ont aucune valeur pour l’homme, mais ils prennent un sens profond dès qu’ils témoignent d’une maîtrise intérieure.

II – Le Hara dans sa signification humaine universelle

70-71 de la réalité à la transcendance Dès le début de sa vie consciente et pendant le développement de celle-ci, l’homme est animé inconsciemment par la nostalgie de retrouver l’unité et de pouvoir en témoigner dans sa vie. C’est pourquoi le sens profond de tout ce qu’il perçoit et fait en se fondant sur sa « conception naturelle » de la vie lui est finalement révélé par l’action secrète de la transcendance au fond de lui-même. Mais il ne peut prendre conscience de cela que par l’intermédiaire de son mode de perception rationnel qui, par ailleurs, le ferme à la transcendance et à l’Être. Tout effort fait pour connaître la réalité de la vie humaine passe nécessairement par un va-et-vient constant d’un pôle à l’autre. Il n’y a pas vrai connaissance de la « réalité naturelle », appréhendée à travers le prisme du moi sans référence à la réalité de la Grande Vie cachée dans l’enveloppe du moi et cherchant sans cesse à percer sous la « réalité naturelle ». Mais, inversement, la perception de la transcendance passe nécessairement par la comparaison avec les catégories du Moi. Toute prise de conscience part de la « conception naturelle » de la vie dans laquelle l’homme se perçoit à travers les catégories du Moi préoccupé de son existence temporelle, attentif aux possibilités qui lui sont offertes et aux dangers auquel il est exposé, cherchant à se préserver et à vivre une vie plein de sens au sein d’une communauté humaine.

III – Le milieu menacé

85 caractère fixatif du Moi Le Moi sclérosé résulte d’une autonomie de la fonction fixative du Moi. Cela fait partie de la nature même du Moi que de « constater » et de vouloir maintenir ce qu’il a constaté, et e dans le domaine de la vie pratique quotidienne ainsi que dans celui de la connaissance théorique et de la conception du monde .

87 danger de s’élever sans base L’homme enfermé dans son Moi ne perçoit pas sa propre profondeur. Fermé à l’Être présent en son être, il ne peut pas bénéficier de la puissance de l’Être, source de plénitude, d’ordre et d’unité. N’acceptant que ce qui ne trouble pas ses positions, il se prive de toutes les forces qui émanent du monde ainsi que de ses propres forces intérieures et se condamne à la stérilité. Cela signifie que son intégration à son être essentiel lui est impossible. Il ne progresse pas, il ne mûrit pas. Finalement, même les succès qu’il peut avoir dans le monde ne parviennent pas à pallier son dénuement intérieur, parce que toute réussite que l‘homme peut mettre sur le compte de ses propres forces ne fait que hausser et renforcer le mur qui le sépare de son être essentiel. Et cela explique d’ailleurs le fait apparemment incompréhensible que la succès dans le monde n’apporte jamais une félicité durable, même à ceux qui sont « bons », et que, chez ceux dont les entreprises sont couronnées de succès, l’angoisse, la méfiance du et le vide intérieur croissent souvent en proportion de la réussite et de l’élévation sociale, ainsi qu’en fonction de l’admiration et de l’envie qu’ils suscitent. Plus ils s’élèvent et plus ils courent le risque de voir s’écrouler leur univers. Il leur manque la base intérieure stable, indépendante des circonstances extérieures. Dans la vie existentielle, seul a prise ce qui est enraciné dans la transcendance. C’est cet enracinement que vise le Hara. Lorsque l’homme a trouvé le Hara et l’a consolidé en lui, il n’a plus besoin des assurances de son Moi chancelant. Il a pris pied sur un terrain solide en lequel il peut avoir confiance et à partir duquel il peut, sans peur, accepter, aborder, supporter et affronter le monde.

IV – Le Hara en tant que pratique de la Voie

96-97 double mouvement caractéristique de la vie Toute vie est tendue entre deux mouvement opposés : d’une part, le mouvement qui préside au développement de la « forme » individuelle et à l’épanouissement de la vraie personnalité et, d’autre part, le mouvement qui, faisant perdre à l’individu sa « forme » particulière et son autonomie, le pousse à SE REFONDRE DANS LUNITE de l’Être divin. L’inquiétude est, en fait, est engendrée par tout ce qui vient contrarier ce double mouvement caractéristique de la vie humaine. C’est seulement en se référant à ce double mouvement que l’on peut comprendre la symbolique du corps.

96-97 symbolisme du corps Alors que le ventre est Centre-Terre, le centre vital, et la tête le Centre-Ciel, le centre spirituel, le coeur est le centre de l’homme. […]

La position de l’homme entre le ciel et la terre correspond à celle de l’âme entre l’esprit et la nature, ordonnance qui se reflète également dans la symbolique du corps dans laquelle le coeur est situé entre la tête et le bas-ventre.

103 Voie / chemin intérieur = trouver le vrai Soi Trouver le contact avec l’Être surnaturel et parvenir à son vrai Soi, qui témoigne alors de l’Être, c’est là le sens profond du chemin intérieur. Quand elle est consciente, la recherche du Hara signifie donc que l’homme s’engage sur la voie intérieure, et la consolidation progressive du Hara montre que l’homme progresse sur cette voie.

104 trois facteurs déterminants En l’homme qui, grâce au Hara, s’est libéré de l’emprise de son égoïsme surgit une force supérieure. Ce qu’elle est exactement échappe à notre entendement. Cependant, on peut l’appréhender d’après la façon dont elle agit : d’après la qualité particulière des expériences vécues, en fonction des conditions dont dépend son efficacité ainsi qu’à travers l’exercice d’un certain état d’être. […] Il apparaît donc que la progression systématique sur la voie intérieure dépend de trois facteurs : l’expérience vécue, la prise de conscience et l’exercice.

105 pourquoi l’exercice ? Faire des exercices sans saisir les conditions préalables qu’ils supposent est aussi infructueux et stérile qu’une prise de conscience qui n’est pas d’abord fondée sur une expérience.

109 le corps que l’on est Il convient également de mentionner les possibilités qu’offre aux thérapeutes le travail du corps, travail encore trop méconnu et relégué même aujourd’hui au rang de méthode d’appoint par maints d’entre eux. L’importance de ce travail ne peut certes pas apparaître avant que la néfaste dualité entre corps et âme ne soit abolie et ne cesse de dominer le domaine de l’éducation et de la thérapeutique, et que le concept du corps que l’on a ne soit remplacé par la conscience du corps que l’on est.

111-112 sens de l’exercice ? En définitive, s’exercer signifie seulement apprendre à créer les conditions qui sont nécessaires pour qu’apparaisse une réalité immanente, l’être essentiel, et pour que celui-ci se manifeste dans le monde, dans sa réalité individuelle. […]

« Quel est donc le plus grand résultat auquel l’exercice permette de parvenir ? » demandais-je bien souvent aux maîtres orientaux que je rencontrais. La réponse était invariablement : « la disponibilité qui permet de se laisser pénétrer par l’Être ».

131 posture = reflet de l’homme Pour celui qui s’est rendu compte que la valeur de toute progression sur la Voie intérieure se manifeste nécessairement à travers le comportement dans l’existence et que ce comportement ne saurait apparaître autrement que dans la façon dont l’homme se sent dans sa peau, c’est-à-dire dans le corps qu’il est, l’exercice de la posture juste – que ce soit dans la marche, l’assise ou la station debout – ne prend jamais fin. C’est dans ce domaine que l’homme, à chaque instant, reflète ce qu’il est, dans sa personne tout entière. (Marc met en gras posture)

135 posture correcte L’assise correcte n’est pas liée à des positions bien déterminées et encore moins à la nécessité d’adopter la position du lotus, comme certains le pensent. Une seule chose est importante : les genoux doivent être situés plus bas que l’os iliaque. S’ils sont placés trop haut, la force du centre vital ne pourra pas pénétrer suffisamment dans le bassin.

144-145 tension & fixation = méfiance de la vie Alors que la tension fondamentale oeuvre à la transformation indispensable des formes, la tension de résistance s’oppose à la disparation, pourtant inéluctable, de la forme acquise et, par là même, elle est l’ennemi du « devenir ». Chaque fois que la vie s’immobilise, où et pour quelque raison que ce soit, il s’ensuit un durcissement, une sclérose et, à l’endroit où se forme dans le corps la tension qui maintient ce durcissement, naît un barrage qui empêche la progression sur la voie intérieure. Supprimer ces tensions de résistance, ressenties comme des crispations, des contractions, constitue l’objet principal de l’’exercice de la détente. Les tensions de résistance se comptent par milliers. Elles surviennent toujours lorsque l’homme se fixe, s’accroche à quelque chose. Ainsi, il est tendu parce qu’il ne veut pas lâcher une position donnée, parce qu’il est obsédé par un certain désir, prisonnier d’une peur, qu’il ne peut se défaire de certaines agressions, à cause de ses ressentiments, de ses conventions, etc. Il s’agit de la fixation consciente ou inconsciente considérée comme le pire des maux dans toutes les hautes formes de religions.

[…] Toute tension doit alors naturellement être considérée non comme une simple contraction musculaire, mais comme l’expression d’une « méfiance à l’égard de la vie ».

154 exercice de la respiration Cet exercice est au service de la personnalité qui fait ses preuves dans le monde si elle sait faire alterner affirmation de soi et don de soi. (Marc met en gras affirmation et don)

162-163 respiration & vie La respiration « fausse » signifie que l’homme s’oppose au rythme fondamental de la vie, faisant alors obstacle au mouvement de transformation de sa personne et l’empêchant ainsi de devenir ce qu’il est au fond de lui, dans son être essentiel, et ce qu’il voudrait donc être et devrait devenir. [….]

Mais que signifient ces deux pôles qui déterminent le rythme de la vie et entre lesquels elle oscille continuellement ? L’un représente le mouvement qui tend vers l’individuation et l’accomplissement de la forme prédestinée (yang) et l’autre la dissolution de cette forme dans la grande unité de l’Être (yin).

Toute forme existentielle court le risque de se scléroser et doit être à nouveau fondue. Mais toute fusion tend également à se prolonger éternellement et mène donc à la dissolution au lieu de puiser dans sa force unificatrice l’énergie nécessaire à engendrer une nouvelle fore. Durcissement, sclérose et dissolution sont les deux dangers essentiels dont est menacé le mouvement de transformation, qui est le véritable sens de la respiration « juste ». Ainsi, exercer la respiration signifie sur tous les plans travailler à rétablir des conditions favorables à la poursuite harmonieuse du mouvement de transformation.

165-166 perception La perception intérieure de la vie qui agit en nous est fondamentalement différente du processus de constatation, de fixation et de compréhension d’un phénomène extérieur. Dans ce dernier cas, l’homme est un observateur se tenant à distance de la chose perçue. Dans la perception intérieure, en revanche, la chose vécue ne fait qu’une avec le sujet qui la vit, et elle le transforme du moment qu’elle se fait percevoir. Chaque fois qu’une expérience vécue contribue à l’évolution de l’homme, c’est la connaissance intérieure de la chose vécue qui est secrètement à l’oeuvre et non le fait d’avoir cette expérience, comme on a ou possède un objet. […]

Alors que la conscience objectivante a son siège dans la tête, que sa faculté percevante est située « en haut », la conscience intérieure est une « présence percevante du corps ». Ce n’est pas un organe particulier, mais l’homme entier, dans tout son corps, qui perçoit. Cette forme de conscience est perturbée, voire effacée lorsque la conscience « siégeant dans la tête » domaine.

172 méditer La méditation, l’ « agir » méditatif, est de caractère passif. Méditation vient de « meditari » : être conduit vers le centre.

V – L’Homme qui possède le Hara

189 interdit d’interdire Toute profession – qu’elle soit intellectuelle ou manuelle, qu’il s’agisse du travail d’un philosophe ou d’un maçon, d’un prêtre ou d’un charcutier – se reflète, jusque dans les moindres détails, dans toutes les attitudes et les conceptions qui la caractérisent, au niveau du corps de la personne. Le corps d’un homme est cet homme, il l’exprime à sa façon. Il trahit sa profession , sa destinée, ses souffrances. C’est pourquoi l’exercice doit toujours être un exercice corporel. Hara signifie transparence du corps.

Appendice – L’enseignement se rapportant au corps (Sato Tsuji)

220 la philosophie et le corps Comme le tanden n’est pas autre chose que la possibilité accordée à un être de vivre l’expérience de la grande unité, le philosophe doit, lui aussi, acquérir de haute lutte et doit gagner dans la pratique corporelle, la conscience de ce qu’est le tanden. La pensée philosophique, exercée par un être humain dégénéré jusqu’à n’être qu’un cerveau vivant dans la posture d’une méduse écrasée, ne peut en fin de compte que rester dans le domaine de l’illusion et de vagues phantasmes, aussi profonde que cette pensée eût pu apparaître au premier abord.

lundi 18 octobre 2021

Les bienfaits de la lenteur.

 

Les Bienfaits de la lenteur (blog de Souffles d’Asie)


Le parti pris pédagogique du Tai Chi Chuan, même s’il n’est pas le seul, c’est la lenteur.

A contre courant de l’état d’esprit ambiant de notre société prise au piège de la vitesse, le Tai Chi est une discipline qui demande temps et persévérance. On ne peut pas venir à un cours, dire « j’achète » et repartir avec du Tai Chi en poche. Il faut prendre le temps…d’y accorder du temps pour en tirer le maximum de bénéfices.


A l’instar du jardinage… il faut semer des graines, les arroser et faire preuve de patience, savoir attendre, attendre encore. Quand la jeune pousse sort de terre, faire preuve de douceur et encore de patience pour la laisser se développer… et avoir confiance. Confiance en son professeur, se faire confiance aussi à soi… et confiance tout simplement au fait de faire, de pratiquer.


Au-delà de tout ça, nos prédécesseurs qui ont créé ou enrichi le Tai Chi Chuan avaient peut être des raisons très différentes de mettre de la lenteur dans l’apprentissage de cette discipline martiale. Leurs préoccupations étaient, à mon avis, probablement d’avantage d’ordre pédagogique et technique.


En effet, pourquoi la lenteur ? Que permet-elle que ne permet pas la vitesse ? Quels avantages apporte-elle dans une pratique corporelle et martiale ?


Tout d’abord, exécuter le tao (forme) comme au ralenti est un moyen intéressant d’étudier le geste et les trajectoires. La lenteur permet de faire cette étude à la fois de l’intérieur, quand on pratique soi-même, ou de l’extérieur lorsque l’on regarde son maître ou les autres élèves pratiquer. L’exécutant peut ainsi obtenir de précieuses informations kinesthésiques et visuelles. Bien avant l’usage de la vidéo et l’invention du ralenti, on peut être admiratif que les maîtres anciens aient eu une si brillante intuition. En effet, on s’est rendu compte qu’à un haut niveau de pratique corporelle ou sportive, il était intéressant de se filmer pour se voir pratiquer et se corriger.


Exécuter la forme lentement permet donc de travailler la précision des gestes car on peut en décortiquer toutes leurs composantes : placement de chaque partie du corps, impulsion, trajectoires, etc… Dans cette optique, on pourrait dire que le travail postural est comme un arrêt sur image et que la forme est un passage au ralenti.


Mais exécuter un geste lentement permet encore bien des choses. La lenteur permet de faire un gros travail pour développer et affiner ses sensations, son ressenti. Ce travail kinesthésique permet non seulement d’améliorer et affiner notre schéma corporel mais également d’arriver à une écoute fine et profonde de notre corps pour apprendre à mieux le respecter, se respecter ; en exécutant un geste très lentement nous avons le temps d’être à l’écoute de notre corps et de nos sensations pour les observer, les écouter et les analyser.


Dans le même esprit, la lenteur nous laisse le temps de ressentir et d’être à l’affût des tensions qui apparaissent lorsque l’on exécute un geste ou qui sont déjà là de manière plus ou moins permanente. Cette prise de conscience permet d’observer ce qui se passe en nous et, par la volonté et l’attention, de se relâcher. Cet aspect, même s’il n’est pas le seul, permet d’optimiser le geste. On ne supprime pas tout effort, c’est impossible, mais plutôt on apprend à ne pas en faire trop en sur-sollicitant nos muscles et notre corps. Ainsi, on se fatigue beaucoup moins, surtout si on applique ensuite ce principe à la vie courante et cette énergie que l’on récupère, n’est plus dépensée inutilement mais peut être disponible pour d’autres actions.


Exécuter très lentement ou juste lentement l’enchaînement permet une formation et un renforcement du corps par isométrie. Et ne nous y trompons pas, les enchaînements ont aussi cette vocation. Ainsi on acquiert petit à petit, simplement en faisant, une forme de corps adaptée au reste de l’apprentissage du Tai Chi. Les jambes bénéficient le plus de ce travail de renforcement grâce au gros effort d’équilibre qui est également proposé par la forme lente.


La lenteur permet d’effectuer un gros travail de placement et de posture. On a le temps d’observer, réfléchir et recadrer puis d’aligner correctement les différentes parties de notre corps entre elles. Chaque articulation doit être à sa place pour d’une part ne pas nous blesser (ce qui se manifeste malheureusement souvent à moyen et long terme) et pour obtenir un geste efficace. Obtenir de bons alignements corporels est donc essentiel tant à la santé qu’à la pratique martiale. C’est grâce à cette base que la force peut être à la fois transmise et réceptionnée sans risque et que l’on obtient la puissance.


La lenteur couplée à l’enchaînement à mains nues est un formidable outil de méditation en mouvement et de travail sur le mental. Elle permet d’observer nos pensées parasites : « l’esprit singe » qui jacasse parfois sans fin de tout et de rien, nous empêchant ainsi d’être ici et maintenant, de goûter à ce moment exceptionnel, aux sensations sans cesse renouvelées, qu’est la pratique de la forme. Il nous vole ce cadeau que nous nous faisons en pratiquant la forme. La lenteur permet justement à celui-ci de venir montrer le bout de son nez pour que nous puissions en prendre conscience et apprendre à le contrôler, à le faire taire. En effet, on a encore une fois le temps d’observer nos pensées parasites et de nous recentrer sur l’ici et maintenant, sur nos sensations, notre environnement. Ainsi, dès que nos pensées commencent à voler notre attention, on se perd dans l’enchaînement et on ne sait plus très bien où l’on en est. C’est donc un outil impartial et très efficace pour la méditation car il ne laisse rien passer ! On est là présent à ce que l’on fait ou l’on y est pas, et il est impossible comme dans une méditation assise, de ne pas s’en rendre compte.


La pédagogie de la lenteur permet à la fois d’améliorer les aspects corporels faisant base à la pratique martiale tout autant que des aspects plus mentaux voire spirituels. Le défaut du débutant est souvent de vouloir avoir fini avant de commencer de « zapper » ou escamoter les gestes en n’allant pas jusqu’au bout. Celui de l’avancé, c’est de se laisser parfois emporter par la dynamique de certains gestes, notamment ceux qui sont spiralés. Avec la pratique de la forme, on apprend à modérer notre impatience et à s’accorder du temps pour ralentir le rythme de notre vie, être à l’écoute de soi, se recentrer, être présent à soi et au monde.


« Nathalie Bernard »


Ce qui peut être réalisé lentement peut forcément être exécuté plus rapidement, mais pas l'inverse. S'accorder le temps d'étudier la pureté des gestes ne peut qu'améliorer la pratique d'un art martial.

dimanche 19 septembre 2021

Illusion, La passion de la perfection.

 

L’illusion, un art… martial?

La Croisée des 2 chemins
Un essai de Carlos Vaquera


L’illusion, un art… martial?


Non, bien sûr, nous sommes éloignés du combat et de l’art de la guerre que l’art martial sous-entend – quoique, dans de rares situations… – et pourtant n’existe-t-il pas de grandes similitudes entre l’art de l’illusion et l’art du combat qu’il soit à mains nues ou à l’arme blanche ? Est-ce tout simplement le fruit du hasard si un certain nombre de créateurs d’illusions pratiquent une discipline martiale qui serait contre-indiquée et même dangereuse pour leur carrière. Citons quelques exemples qui me viennent à l’esprit : Jean-Jacques Sanvert qui pratique le Kung-Fu et le Tai Chi Chuan (et donne des cours), Christian Chelman (ceinture noire de judo), John Carney (qui pratique un art martial japonais), Gérard Majax (boxe française et canne) et bien sûr, votre humble serviteur (ceinture noire de karaté). Est-ce donc une coïncidence, ou une direction complémentaire à l’art de l’illusion ? C’est ce que je vais essayer de déterminer dans les quelques lignes qui suivent.

On peut résumer les vertus principales des arts martiaux par

1) La discipline qui demande un sens de la responsabilité individuelle et qui sous-entend une régularité dans le travail pour progresser dans une voie difficile (le chemin du créateur d’illusion souvent seul face à ses livres, son miroir (ou sa vidéo) ne demande-t-il pas ces mêmes qualités pour parvenir à une certaine maîtrise technique?).

2) La maîtrise de soi d’un point de vue physique et mental. Pour avoir l’idée d’un geste, il faut le faire mille fois. Pour le connaître, il faut l’exécuter dix mille fois. Pour le posséder, il faut le répéter cent mille fois ! (Ne faut-il pas maîtriser son corps pour arriver à réaliser une technique invisible aux yeux des spectateurs ? Ne faut-il pas maîtriser son esprit pour parvenir à contrôler la peur de l’autre lors d’une représentation publique ?)

3) Le développement des qualités psychomotrices qui résultent de l’espace et du temps et son contrôle. (Ne faut-il pas gérer son corps tout entier pour la création de l’atmosphère magique propice à l’enchantement des spectateurs ? Et tout cela dans un temps juste ?)

4) Le développement de la perception d’une image de nous-même plus juste qui entraîne l’abandon d’un ego trop fort et nous rend plus humble et respectueux face à l’autre. (L’illusion ne nous apprend-elle pas à respecter l’autre en lui donnant une image positive de nous-même ?)

5) La réflexion qui amène l’artiste martial à méditer sur une technique pour atteindre, dans l’action, une maturité artistique de l’art qu’il pratique. (Faut-il en dire davantage ?)

Les asiatiques pensent que l’homme naît en quelque sorte infirme, et qu’il leur faut un travail constant sur eux-mêmes pour leur permettre, grâce à la culture du geste, de retrouver un certain équilibre qui améliorera leur existence. Ce travail constant passe par le travail de la posture, de la respiration et de l’état d’esprit.

La posture

La posture juste est un point fondamental pour une bonne pratique des arts martiaux. Elle est essentielle pour nous permettre d’être parfaitement en équilibre et d’avoir la meilleure position possible pour être en état de vigilance constante face aux événements. Cette posture juste passe par les pieds (membres inférieures), les hanches, le tronc (membres supérieurs) et le port de tête (dont le regard fait partie) – ne retrouvons-nous pas une certaine similitude avec les « Cinq points magiques » de Juan Tamariz : Le regard, la voix, les mains, les pieds et le corps.

« Le regard est une énergie qui vient du ventre, projetée en avant ! C’est tout le corps qui regarde. » – propos du mime Marcel Marceau.

Lors d’une rencontre entre Pierre Delorme (maître dans l’art du Kendo et de l’Iaïdo, auteur de livre et dessinateur de bande dessinée) et Maurice Béjart, ce dernier disait : «J’aimerais insister sur un point qu’a développé Pierre tout à l’heure. Il vous a parlé de l’unité du corps et de l’esprit. De la vigilance du corps qui engendre celle de l’esprit. Je voyage dans le monde entier, et on me présente un peu partout les grandes personnalités, les grands artistes des pays où je suis. Une des grandes différences entre l’Occident et l’Orient tient en ceci : en Europe, en France, nos grands cerveaux, philosophes, professeurs, grands chirurgiens, artistes, ne sont que cérébraux. Ils sont souvent bossus, ils ne tiennent pas droits. Surtout ils sont d’une maladresse insigne avec corps. Ils renversent les objets, ils n’occupent pas harmonieusement l’espace, leurs corps n’a jamais l’intelligence de leur cerveau ! En Orient, c’est tout le contraire ou plutôt c’est très différent : un grand potier, un grand acteur, un calligraphe réputé, un poète célèbre aura toujours un maintien impeccable ; il y aura toujours l’harmonie du corps et de l’esprit, même si c’est apparemment un grand intellectuel.»

Le travail de la posture, du geste et des mouvements ne peut se réaliser que dans la régularité. Ce n’est pas le nombre d’heures que l’on passe à travailler une technique qui est le plus important, mais la régularité avec laquelle nous la travaillons. Il vaut mieux travailler une technique 1/2 heure par jour pendant une semaine que 4 heures d’affilée un jour de la semaine.

« Il faut soigner le corps pour que l’âme s’y plaise » affirmait Saint-François de Salle, Évêque de Genève vers la fin du XVIème siècle.

Dans l’étude du karaté que je pratique depuis plusieurs années, j’ai constaté que l’initiation passe par l’imitation. Le débutant imite l’autre sans comprendre le pourquoi, ni réellement le comment de la technique montrée. C’est à force de répétition et donc d’observation, qu’il va essayer de suivre les autres en se rapprochant le plus possible du mouvement montré. Ensuite, une fois que la technique de base a été copiée des centaines de fois, viendra la correction donnée par les ceintures supérieures. C’est alors que commencera le long cheminement que demandera une technique pour être acquise. Il faudra la répéter des millier de fois pour la « sentir », la « perdre », la « reconquérir » et « comprendre » que la perfection en technique n’existe pas. Au bout du chemin, il faudra oublier la technique de base étudiée pour la rendre sienne. Celle-ci se transformera et deviendra personnelle ; chaque technique exécutée par un maître portant la marque de son auteur.

La respiration

La phase d’inspiration correspond à un emmagasinement d’air, tandis que l’expiration lente et profonde permet la diffusion de cette énergie dans tout le corps. Dans les arts martiaux, l’attaque doit toujours avoir lieu pendant l’expiration et si possible pendant l’inspiration de l’adversaire, moment où celui-ci est le plus vulnérable. Christian Chelman, lors d’une interview, nous disait : «…C’est-à-dire que tout acte technique est basé sur le souffle. Or, la plupart des magiciens travaillent toutes leurs techniques sur des inspirations et ça se sent. Pourquoi ? Parce qu’une inspiration crée une tension. Or, le Blitz ou toutes les techniques que j’ai mises au point, sont basées sur le fait qu’on les réalise en expirant, en se relâchant. Ce qui les rend totalement imperceptibles. Non pas invisibles pour les yeux, mais invisibles pour l’esprit. Puisque, quand je me relâche, l’autre se relâche aussi, il ne fait pas attention. L’attention, c’est comme un film, on a l’impression de voir une image continue mais en réalité ce sont tous des segments.»

La plupart des gens confrontés au public (comédiens, hommes politiques, présentateurs…) ont une variété de techniques basées sur la respiration pour contrôler leur trac avant de rentrer sur scène. Les techniques de respiration proposées par les arts martiaux ou par les arts de méditation (zen, yoga…) sont de grande utilité pour acquérir une certaine maîtrise de soi-même.

L’état d’esprit

L’éducation de l’esprit passe par le travail du corps. C’est la base de l’entraînement dans les arts martiaux. Sentir avec l’esprit, c’est bien, mais sentir avec le corps est l’élément le plus important pour arriver à une compréhension la plus proche de l’art que l’on pratique. On pourrait dire, à l’extrême, qu’aucune théorie n’est valable sans l’avoir vécu dans l’action. Il faut mettre en pratique ce que l’on lit, ce que l’on étudie. Ce n’est que par cette voie que l’on pourra en parler de manière plus complète. Il faut aussi apprendre à écouter les choses comme si on les écoutait pour la première fois. Il faut apprendre à exécuter un mouvement comme s’il était unique et avec la conscience qu’on ne pourra le réaliser qu’une seule fois. Ne pas subir les événements, les affronter, décider de l’action juste, prendre l’initiative rapidement, anticiper, avoir une bonne image mentale de soi, garder le respect de l’autre, sont des éléments qui résument l’attitude juste face à un adversaire, mais pourquoi pas face à la vie en générale.

« Le plus beau métier d’hommes est le métier d’unir les hommes » – Antoine de Saint-Exupéry

Il faut prendre connaissance que la réflexion ne se fait pas uniquement par l’esprit mais aussi par le corps. La juxtaposition de la pensée et de l’action est une nécessité absolue dans la maîtrise d’un art. Il faut trouver cette harmonie. Le danger est de se laisser à tout intellectualiser, à méditer sans faire vivre ses pensées par le corps. Mais cette manière d’être ne doit pas uniquement se centraliser par le « je », « l’autre » existe et sans lui, je ne suis rien. Sans adversaire, il n’y a plus d’art martial. Sans public, il n’y a plus d’art. Et qu’on ne vienne pas me dire que l’art égoïste qui est pratiqué en solitaire est un art, car l’art n’existe que par les yeux de l’autre. Trop souvent on voit des magiciens se faire plaisir, sans tenir compte qu’en face d’eux existent des personnalités avec qui ils devraient échanger un moment qui se veut unique. Ces magiciens-là nous donnent l’impression qu’ils sont à la fois les acteurs et spectateurs de leurs actions. Manifestement, ils s’illusionnent sans illusionner personne. Finalement si le public n’était pas là, ça n’aurait pas grande importance.

L’art martial (mais aussi le théâtre, l’improvisation sportive etc.) nous apprend à vivre avec l’autre, à être à l’écoute de l’autre et à partager une émotion en commun qui se veut à chaque fois différente puisqu’il nous est impossible de recréer de manière complètement identique une même action. Cet apprentissage nous rendra plus harmonieux avec ce qui nous entoure. Et pas uniquement en spectacle ! Et notre plaisir sera aussi celui de notre public. N’y-a-t-il rien de plus beau que de partager une émotion en commun ici et maintenant ?

De l’importance du maître

Le maître est plus qu’une accumulation d’expériences et de connaissances. Il est le centre d’énergie physique et spirituel qui attire les disciples (ou élèves) vers lui dans le but de recevoir une tradition orale épurée. Une fois rentré dans le Dojo, que l’on considère comme un espace sacré, l’écoute et la concentration doivent être optimales. C’est dans cette atmosphère de réceptivité totale que l’élève doit se sentir prêt à recevoir la connaissance. Ce que le maître transmet est, en quelque sorte, un héritage accumulé au fil du temps. Cet héritage est une suite de découvertes faites au prix de nombreuses années de recherches, de fausses pistes, de découragements, etc. Celui-ci n’est pas l’objet d’un seul homme, ni d’une seule génération, il est l’accumulation de milliers d’individus qui, de bouche à oreille, ont transmis leurs secrets ; avec, comme chacun le sait, une tendance à transformer et à adapter le contenu transmis. Le maître est le moteur qui pousse l’élève à prolonger son chemin dans une voie qui se veut difficile. Il est là pour le motiver et lui apprendre à découvrir sa propre réalité, différente de celles des autres, et non pas à en faire une copie conforme de lui-même. Son plaisir est le partage et la réussite des autres dans la recherche de l’épanouissement, tant physique que spirituel. Il est entendu, que les doutes, les épreuves physiques et psychologiques font parties intégrantes de cette conquête. Dans cette voie, l’être humain et l’art sont indissociables, et au bout du chemin tous les deux en sortent grandis.

S’il ne fait aucun doute que l’Espagne est considéré, à l’heure actuelle, comme le pays où la cartomagie est à son niveau le plus haut, ce fut grâce à la présence d’un maître tel qu’Arturo de Ascanio, qui a su cultiver la transmission de l’art dans sa plus belle forme.

Après ce petit détour dans mes réflexions théorico-philosophiques, je peux vous certifier que l’art martial est complémentaire à l’art de l’illusion… au même titre que l’art théâtral, la musique, la peinture, les mathématiques, le massage, et tout ce que vous faites avec passion. Un artiste a la liberté de s’enrichir personnellement en se dirigeant vers des horizons éloignés de son art. C’est cela qui le rendra unique.


Arts internes

  Arts internes. Dans les arts martiaux chinois, les «formes internes» s’opposent à celles que l’on appellent les «formes externes»...